Adresse Qui Ne Croustille Plus…

Adresse Qui Ne Croustille Plus (1)
Exposition de la tragédie
Quoi ?
Son nom devrait suffire pour mettre la puce à l’oreille : La Librairie de France. Une Institution Culturelle New Yorkaise mais indépendante. Elle n’a aucun lien avec la représentation française aux Etats Unis et ne reçoit aucune subvention.
Fondée en 1928, cette librairie aux dimensions modestes s’installe au rez-de-chaussée de la Maison française, au sein du Rockefeller Center, en 1935 (date de l’inauguration de ce gigantesque complexe de gratte-ciel).
Pendant l’Occupation, elle s’improvise maison d’édition : les Editions de la Maison Française. Plus de 200 auteurs français en exil seront publiés (entre autres Raymond Aron, Gustave Cohen, Jacques Maritain, Georges Simenon,…). Antoine de Saint-Exupéry reste le meilleur exemple : le manuscrit de Pilote de guerre avait été confié au tenant de la librairie pour contourner le blocus maritime qui avait arrêté l’expédition de livres au départ de l’Europe. Cette librairie a reçu la visite de tous les grands écrivains français de passage à Manhattan et s’est imposée comme une vitrine de la culture française, francophone voire européenne. Elle symbolise en quelque sorte les allers-retours intellectuels entre Paris et New York.

Encore aujourd’hui, l’endroit est resté fidèle à lui même. Le rez de chaussée n’a presque rien extraordinaire. Au milieu des best sellers, souvenirs pour touristes, guides Michelin et nouveautés littéraires françaises (à des prix par contre très élevés étant donné les frais de port), on distinguera les plaques en émail à l’effigie du Petit Prince.


A l’inverse, le sous-sol contient des trésors pour peu que l’on s’y attarde. Malgré la taille modeste dont ils disposent aujourd’hui, les rayons débordent de livres, de critiques littéraires, d’éditions rares ou d’époque des plus grands écrivains francophones. Dans le magasin sont stockés plus de 2 millions d’ouvrages. Il s’agit de la plus grande collection (commencée il y a 77 ans) de livres français au monde. On s’étonnera, entre autres, des ouvrages sur la mode et les costumes français, les vitraux, les arts décoratifs, la ferronnerie imprimés dans les années 30, 40 ou 50. La plupart sont des éditions limitées indisponibles dans le reste du monde car épuisées depuis des années (par exemple, la collection sur le Moyen âge). Les pages n’ont même pas été coupé, ce qui est typique des méthodes d’édition françaises d’avant guerre. Les livres de la Maison d’édition se vendent entre $50.00 et $95.00.
La Librairie n’est toutefois pas uniquement tournée vers la littérature francophone. Le sous-sol accueille un coin d’ouvrages en castillan.

…. Si vous cherchez à passer du perse au danois, du flamand à l’indonésien, de l’espéranto à l’anglais, du tagalog à l’allemand, du latin au slovène ou encore du népalais au français, vous trouverez sans problème. La librairie est, de surcroît, une perle pour la communauté internationale et multilinguistique. Le nombre de langues disponibles (zoulou compris !!!) ainsi la multitude de correspondances vous laisseront muet. Pour tous ces dictionnaires, la correspondance se fait vers l’anglais et souvent le français voire l’allemand, l’espagnol, l’italien et le russe. On peut disposer d’encyclopédies et dictionnaires spécialisés. Une fois de plus, quel que soit votre domaine d’intérêt, il serait étonnant que vous ne trouviez pas. Beaucoup sont bilingues, multilingues. Surtout l’introuvable se trouve : le droit militaire en chinois et anglais, l’aquaculture en anglais / français / allemand / italien / latin, les vitamines en catalan, les termes politiques et sociaux en bulgare et anglais, les mauvaises herbes d’Europe de l’Ouest en douze langues, le droit en allemand / italien / turc / espagnol / serbe, les cosmétiques en onze langues, les champignons comestibles, le vocabulaire de Hegel, le diable, la terminologie musicale, les chansons de la Révolution, le graal… On n’en finit pas. C’est le paradis des universitaires et des curieux qui pourront y trouver ce qui leur convient sans passer pour des extraterrestres.
Pour avoir un aperçu de toutes les possibilités, cliquez ici pour les dictionnaires de base et pour les dictionnaires spécialisés.
Qui ?
En 1928, Isaac Molho, tout fraîchement débarqué à New York, fonde la Librairie de France. Ce juif grec originaire de Salonique et féru de littérature française (ancien élève au Lycée français d’Athènes) se voit proposé par David Rockefeller d’être le premier locataire de la Maison Française au Rockefeller Center. Depuis 1988, c’est Emmanuel Molho, son fils, qui a pris la suite.

Pourquoi ?
Le problème est simple. Le loyer ! Il n’arrête pas de grimper. Suite à une augmentation de loyer de 300%, dans les années 1980, la Librairie avait dû céder « 60% de sa surface » à l’Occitane. Depuis les années 2000, les choses n’ont fait qu’empirer, et la Librairie doit fermer. Les deux autres magasins qu’ils avaient (un sur la 19e rue et l’autre à Los Angeles) avaient déjà dû fermer dans les années 90.

1) Le propriétaire du Rockefeller Center a décidé de tripler le montant annuel du bail. Il a désormais atteint 1 million de dollars.
2) L’âge d’or (1940 à1960) de la Librairie, où ils recevaient deux tonnes de livres français chaque semaine, est bel et bien dépassé. La rentabilité est donc moindre. Dans les années 70, il y avait plus de cinquante employés dans la Librairie contre huit aujourd’hui. Les deux autres ouverts à NY et LA marchaient très bien. L’importance des langues étrangères aux Etats Unis n’est que trop relative, d’autant plus que l’influence et le rayonnement du Français dans le monde se sont affaiblis.
3) La littérature française et étrangère est désormais accessible pour les consommateurs grâce au net à des prix plus abordables (notamment avec Amazon).

Quand ?
Le 30 Septembre 2009, le bail arrive à échéance.
Avant la fermeture, on peut profiter de nombreuses réductions sur les livres des rayons du sous-sol.

Solution ?
Les tenants tentent de continuer. Ils stockeront les livres à un autre endroit et les vendront via internet. Cette alternative permettra notamment aux étudiants des lycées français, des universités ou à tous les passionnés de culture francophone de continuer à se « ravitailler ». Il est certain que ce créneau est à prendre mais en vaut-ce la peine ?
Tous les chauffeurs de taxis africains et haïtiens francophones de New York, qui représentaient une fidèle clientèle, ne suivront sûrement pas. Avec le lieu qui disparaît, c’est l’essence même de la librairie qui se dissout.
Seul sursaut possible : l’arrivée d’un mécène… pardon un sponsor (on oubliait, on est au 21ème siècle et sur le « nouveau » Continent !!!). Le miracle n’est toujours pas arrivé.

Pourquoi est-ce tragique ?
1) Au coeur de Manhattan, du Rockefeller Center, sur la 5e Avenue, la Librairie de France a de quoi surprendre. En réalité, elle nous rappelle la fonction première du Rockefeller Center. Lors de sa création en 1932, il devait accueillir l’élite intellectuelle européenne fuyant l’Europe en crise, à la veille de la barbarie nazie.

2) En outre, la librairie dépasse la mission de vendre des livres et être rentable. C’est l’histoire d’une famille, passionnée de littérature, qui s’est battue pour faire vivre sa passion et transmettre un savoir. Les tenants sont des spécialistes et ont l’habitude de servir la communauté internationale. Ils disposent de la connaissance et des ressources suffisantes pour orienter les clients, commander les ouvrages requis.
Il faut donc dire adieu à un lieu unique : seule librairie française aux USA, seule librairie étrangère à NY et dernière boutique indépendante du Rockefeller Center. Le lieu éduque de par son histoire Il s’inscrit dans un passé, fait partie de l’histoire commune. De nombreuses œuvres historiques et guides de voyages le citent.
Pour le remplacer par quoi ? Un magasin qui pourrait être n’importe où : une boutique de fringues, de prêt-à-porter ou de parfums. Un constat triste.
3) C’est d’autant plus consternant que ceci confirme ce que Ken constatait dans Paris face à la crise. Les meilleurs atouts de la France sont gâchés. Le fait est connu depuis 2007 et personne ne vient secourir la Librairie de France (pas même le Président Guignol SuperSarko), qui pourtant est un précieux atout pour faire rayonner la langue française et maintenir un dialogue fructueux avec le Nouveau Continent.
Réponse par lettre de M. Fabrice Gabriel, l’ATTACHE CULTUREL à M. Garcin (dont l’article du Nouvel Observateur est en lien plus loin)
 » (…) Cette menace (l’augmentation du loyer) est terrible, mais désormais banale dans les grandes métropoles occidentales. Quiconque aime la littérature ne peut que s’indigner et comprendre votre colère « .
La devise française « Liberté, Egalité, Fraternité » est encore gravée sur une partie de la façade de « la Maison française » (aujourd’hui magasin de fringues). On peut se demander si cela a vraiment un sens. Avec la disparition de la Librairie, c’est un élément de patrimoine à part entière à New York qui disparaît.
Déclaration de Jacques Maritain (18 Octobre 1944) concernant l’apport de la Librairie de France à la communauté française aux USA :
Je voudrais féliciter la Librairie de France de l’effort qu’elle a fait pour aider au maintien de la culture française dans le Nouveau Continent pendant la deuxième guerre mondiale. Dans les jours très sombres de 1940, au moment où le désastre accablait les coeurs, où la capitulation acceptée par les gouvernements de Vichy faisait croire à l’opinion publique que la France était vaincue, et où la jeunesse des écoles américaines semblait se détourner de l’étude du français et lui préférer celle de l’espagnol, -lancer à New York des éditions de langue française paraissait une grande témérité. Conscients de leurs responsabilités morales envers la France, les directeurs de la Librairie de France ont eu assez d’énergie et de décision pour prendre cette initiative. Ils ont commencé leur tâche d’éditeurs dès l’automne 1940.
Sur la libre terre des Etats-Unis, les oeuvres d’expression française pouvaient ainsi continuer de paraître, et essayer de donner une voix au peuple de France bâillonné. A travers les murailles de la censure, des auteurs français pouvaient continuer de s’adresser à lui, en esprit et en réalité, – car quelques exemplaires passeraient bien en contrebande, et un jour viendrait où ce qui avait été écrit pour les Français serait lu par les Français.
Ils pouvaient aussi continuer de porter hors de France le témoignage des lettres françaises. Ne recevant plus rien de France, le large public, un instant déconcerté, de tous ceux qui dans le Nouveau Monde chérissent la langue et la pensée françaises pouvait continuer d’entendre des voix françaises, qui faisaient de leur mieux pour suppléer au silence imposé par l’oppresseur aux écrivains de France, en attendant que la libération du pays permette enfin à ceux ci de faire connaître à la France et au monde les oeuvres préparées pendant quatre ans de ténèbres ou héroïquement publiées aux éditions clandestines.
La Librairie de France a pris depuis 1940 un développement considérable, qui témoigne à la fois de la vitalité de la culture française dans ce pays et de la profondeur de l’amitié franco-américaine, et qui a servi utilement cette culture et cette amitié. Je voudrais exprimer à la Librairie de France la reconnaissance d’un écrivain français qui a trouvé auprès d’elle la coopération la plus dévouée dans tout ce qu’il a entrepris pour servir sur cette terre hospitalière la cause de la France et de la liberté.
4) New York est la nouvelle grande capitale. En terme de littérature, elle a égalé Paris depuis des décennies. New York regarde en permanence vers l’avenir. Mais pourquoi l’avenir doit-il détruire le passé ? Pourquoi devrait-on céder à la pression de la rentabilité en permanence ? A la dictature du court terme ?
C’est bientôt une liaison étroite entre deux de nos mégalo-métropoles qui va cesser d’exister. Est-ce juste le symbole qui disparaît ou cette connivence s’affaiblit-elle fortement depuis plusieurs années déjà ? La France et les USA sont pourtant deux pays dont l’histoire est fondamentalement lié : pionniers de Révolutions pour l’installation d’un régime démocratique et de Déclarations de libertés.

Librairie de France
Publications Françaises et Européennes depuis 1935
Rockefeller Center Pormenade
610 5ième Avenue (entre la 49ième et la 50ième Street)
Lundi au Samedi 10h – 18h
Deux articles de référence
– New York Times (July 15, 2007) –> The Tricolor Will Be Lowered at a Citadel of French Culture
– Le Nouvel Observateur (semaine du 4 Octobre 2007) –> La tendance de Jérome Garcin, La Librairie de France va fermer

Le Rockefeller Center : a City within a City
Le Rockefeller Center est un complexe fascinant de La Grosse Pomme… A City within a City (Une Ville à l’Intérieur de la Ville). 21 gratte-ciel. 9 hectares. Construit entre 1929 et 34, ce complexe art déco de buildings commerciaux s’imposait comme le plus grand projet de construction privé des temps modernes. Il avait été pensé pour devenir le deuxième centre économique de Manhattan, après Wall Street. Dans quelle mesure peut-on le considérer comme une « Ville dans la Ville » ? Il comprend aussi bien bureaux, rues piétonnes, boutiques, petits parcs, équipements culturels et de divertissement. Une vraie intégration urbaine. De plus, il s’agissait de la plus grande construction souterraine privée à NY pendant le Dépression. Des passages piétons souterrains reliés entre eux s’étendent de la 47ième Street à la 51ième et de la 5ième Avenue à la 7ième. Ces souterrains s’inspirent du succès du Grand Central Station’s « Terminal City » . Enfin, nombre d’artistes ont contribué à l’élaboration de ce complexe qui a été déclaré National Historic Landmark (lieu officiellement considéré comme ayant un intérêt historique) en 1987.




L’hiver, le Rockefeller Plaza (sur la photo ci-dessus), au centre du complexe et dominé par la statut dorée de Prométhée, devient une patinoire et voit se dresser un imposant sapin de Noël lumineux. Un des instants les plus connus qui rythment la vie hivernale new yorkaise.



Une vue : le Rockefeller Center View
S’il y a une vue de New York à ne rater sous aucun prétexte, la voici : le Top of the Rock Observation Deck. Spectaculaire. Au centre du Rockefeller Center, en haut du GE Building, l’observatoire est une expérience incontournable pour tout touriste qui se respecte. Avantage : moins fréquenté que l’ Empire State Building
Tous les jours : 8h – Minuit (dernier ascenseur à 23h)  
30 Rockefeller Plaza
(Entrée sur la 50th Street)
 http://www.topoftherocknyc.com
Pour prendre ses billets, cliquez ici.